C’est arrivé près de chez moi. J’avais fait le plein, et je rentrais donc en utilisant l’un de ces itinéraires de contournement dont l’usage, pour les 12 millions de résidants de l’agglomération parisienne qui ont l’occasion de circuler sur un véhicule motorisé à proximité de la capitale, est devenu obligatoire s’ils souhaitent continuer à exercer leur liberté de se déplacer malgré les entraves mises à celle-ci par la politique de Bertrand Delanoë. En l’occurrence il s’agissait, à la porte dite d’Asnières, d’emprunter le boulevard du Fort de la Vaux. Bordé par le périphérique et sa bretelle d’accès côté nord, et, côté sud, par la zone, où l’on trouvera d’abord un hôtel et des bureaux, et puis rien, passant sous les voies ferrées les plus fréquentées de la région, celles qui mènent à la gare Saint Lazare, et changeant au passage son nom en Douaumont, le boulevard n’est en fait qu’une étroite artère à sens unique, servant essentiellement au stationnement des camionneurs, et où s’exerce une activité prostitutionnelle dont les jours, comme déjà ceux de la station-service qui occupait l’angle avec l’avenue de la Porte de Clichy, sont vraisemblablement comptés, puisque le vaste terrain vague qui s’étend à l’est des voies ferrées accueillera très bientôt le nouveau palais de justice de Paris avec sa tour haute de 160 mètres, et la police judiciaire.
Mais le boulevard longe donc, à hauteur, le périphérique. Et la bretelle d’accès à l’autoroute urbaine dispose d’une échappatoire qui permet aux étourdis de la quitter avant même d’y être entrés. C’est ce qu’avait décidé de faire cet écervelé – ou cette lobotomisée, la Nissan Micra rouge étant du genre à laisser planer le doute sur le sexe de son conducteur – adepte du non, personne ne m’a jamais appris à tourner la tête, et qui, brutalement, venant de la gauche, s’est approprié ma voie. Incident banal, au demeurant, qui, d’ordinaire, se règle d’un petit évitement par la droite. Sauf que là, l’évitement était impossible. Car le boulevard du Fort de la Vaux, minuscule rue menant de rien à nulle part, est malgré tout équipée d’une large séparation qui restreint un peu plus son gabarit, et délimite un espace protégé réservé aux seuls cyclistes, séparation qu’un évitement conduirait inévitablement à percuter. La manœuvre, alors, consiste à se rapprocher autant que possible de la bordure sans, surtout, la toucher, à serrer les fesses, et à espérer que ça passe. Et c’est passé.
En première analyse, on trouve ici une simple illustration de ces conséquences involontaires des décisions publiques commodément désignées par la notion d’effet pervers, analysée par Raymond Boudon : l’infrastructure mise en place afin de protéger une certaine catégorie d’usagers se révèle dommageable pour une autre catégorie d’usagers, sans que cela relève d’une intentionnalité particulière de la part de ses concepteurs. On retrouve une situation comparable avec les glissières métalliques de sécurité, qui protègent les conducteurs de véhicules carrossés en général, et les automobilistes en particulier, des conséquences d’une sortie de route, mais dont les supports tranchants tuent plusieurs dizaines de motocyclistes par an. Pourtant, on remarquera d’emblée que les bénéfices de ces aménagements profitent à des usagers distincts, alors que, dans les deux cas, leurs effets négatifs s’exercent au détriment des mêmes. L’histoire montre, de plus, que ces effets négatifs n’ont pas remis ces aménagements en cause, et qu’ils n’incitent même pas à remédier à leurs inconvénients en apportant les correctifs nécessaires, lesquels, la question technique étant depuis longtemps réglée, ne réclament pourtant rien d’autre que quelques investissements. Cette situation pose l’intéressante question de savoir jusqu’à quel point un État peut se permettre de sacrifier délibérément la vie de certains de ses citoyens afin d’en sauver d’autres, à la seule fin de s’épargner quelques dépenses, et quelle peut bien être la nature de l’État en question, programme à l’évidence fort ambitieux. Plus modestement, on se contentera ici d’étudier les justifications qui ont entraîné la généralisation de ces maudites bordures et, de façon plus générale, de s’intéresser à la politique d’aménagement de la voirie au niveau de la ville, du département et de la région, collectivités qui, depuis 2003, se partagent la responsabilité pleine et entière d’une fraction considérable des routes, et des rues.
choisir qui protéger
La politique conduite depuis 2001 par nombre d’autorités locales, à Paris et, de plus en plus, dans les communes des départements limitrophes, voire au niveau de la région, politique imitée par bien des grandes villes, consiste à favoriser systématiquement certains moyens de déplacement – les transports en commun, le vélo – au détriment d’autres – les véhicules individuels à moteur thermique ; en matière de voirie, cette politique se traduit par un remodelage méticuleux et universel de l’allocation d’espace public au profit des premiers, et au détriment des seconds. Et elle vise notamment, en construisant des pistes cyclables physiquement séparées du reste de la rue, à préserver, au nom de leur vulnérabilité particulière, la sécurité des seuls cyclistes. Ce qui pose deux questions qu’il convient de bien distinguer, celle de l’équité, et celle de l’égalité. Une politique équitable, cherchant à corriger les déséquilibres de toutes sortes entre citoyens, sera nécessairement inégalitaire : tel est par exemple le cas de l’impôt progressif sur le revenu, qui taxe plus lourdement les plus aisés. Il n’y a donc, a priori, rien de choquant à voir la puissance publique s’inquiéter particulièrement des plus vulnérables. Sauf que le même impératif d’équité voudrait qu’elle s’intéresse aussi au sort d’autres usagers vulnérables, quand bien même ils le seraient un tout petit peu moins, les motocyclistes, en leur ouvrant par exemple, comme aux cyclistes, l’accès à certains couloirs de bus. Or, d’une manière générale, on sait que, en France, il n’en est rien ; c’est que le principe effectif qui guide l’action municipale n’est pas la recherche de l’équité mais, à l’inverse, l’instauration d’une discrimination entre les usagers, fondée sur des motifs qui ne relèvent pas de la sécurité même si, dans le discours, il s’agit bien de protéger les usagers vulnérables, du moins ceux qui, dans l’idéologie municipale et contre les faits, profitent seuls de ce qualificatif, piétons et cyclistes. Or, il se trouve que, dans son objectif avoué, à Paris au moins, cette politique a complètement échoué.
Lorsque l’on aborde la question de la comparaison des statistiques d’accidents, le problème de disposer d’un étalon commun se pose. Comparer les risques que prennent les citoyens en choisissant tel ou tel mode de transport implique de pouvoir mesurer le risque en question ; pour ce faire, on ramène le nombre des victimes à la part du trafic total propre à chaque mode. Impraticable, pour des raisons diverses, en ce qui concerne cyclistes, motocyclistes et piétons, à l’échelon national ou même régional, une telle approche a été tentée par Pierre Kopp, économiste et professeur à Paris 1, dans le seul cas parisien. Dans un article publié en 2009 dans Transports, il analyse les avantages pour la capitale du développement des deux-roues motorisés. Il écrit notamment :
« On peut toutefois avancer l’idée qu’une partie significative de la dangerosité provient des autres véhicules. Le cas du vélo souligne cet aspect. Le fait que depuis son lancement, le 15 juillet 2007, on recense six accidents mortels en vélo en libre service dans la capitale est inquiétant. Le fait qu’il y ait, en moyenne, 21 tués en 2RM à Paris (moyenne 2006-2007), mode qui assure 16 % des passagers*km réalisés chaque jour dans Paris et six (moyenne 2006-2007) pour le vélo qui n’assure que 0,1 % des déplacements, offre un contraste saisissant. D’importantes dépenses ont été réalisées pour les vélos, notamment afin de sécuriser leur utilisation. Peu ou rien n’a été fait pour le 2RM dont l’utilité sociale est incommensurablement plus élevée et dont l’accidentalité est à la fois, beaucoup trop forte par rapport aux modes protégés (voitures et transports en communs) et faible par rapport au vélo. » (Pierre Kopp, Transports n° 456 juillet-août 2009 p.226)
Pierre Kopp, avec l’aide de ses étudiants, a employé une méthode représentative pour calculer la part des deux-roues motorisés dans le trafic parisien, en l’espèce durant le mois de novembre 2008 ; comme on le verra plus loin, ses estimations sont vraisemblables. Il n’a malheureusement pas procédé de la même manière avec les cyclistes, et les chiffres qu’il donne sont sans doute fortement sous-évalués. Une autre source, le bilan de la sécurité routière pour l’année 2010 de la Préfecture de Police évoque, sans plus de précision, les parts dans le trafic de la capitale des deux-roues motorisés, et des vélos, lesquels s’élèvent respectivement à 17 %, et à 3 % du total. Ces maigres données permettent malgré tout de tenter une comparaison approximative entre les risques que courent ces usagers vulnérables. On va d’abord déterminer un risque de référence, fictif, qui serait égal à la part des usagers dans le trafic, pour calculer ensuite le sur-risque que doivent affronter cyclistes et motocyclistes, dont on connaît et le nombre des victimes, et la part dans le trafic total. Cet écart à la norme, à Paris intra-muros, pour les motocyclistes, s’élève à 4, tandis que celui des cyclistes atteint 3,4. En d’autres termes, compte tenu de l’imprécision des données, ces deux modes de déplacement sont, du point de vue du risque qu’ils représentent, statistiquement équivalents. A l’inverse, et comme l’écrit Pierre Kopp, un gouffre les sépare, pour peu que l’on s’intéresse à la politique municipale ou régionale qui les concerne : celle-ci s’adresse exclusivement s cyclistes, à la sécurité desquels elle consacre chaque année des millions d’euros, et néglige totalement les motocyclistes, pourtant tout autant vulnérables, et tout autant citoyens. On auxse trouve bien là face à un traitement clairement inéquitable ; il est, de plus, fondamentalement inégalitaire.
l’élu et le planificateur
Pour s’en rendre compte, il faut essayer d’évaluer de quelle manière, dans des circonstances similaires et, donc, dans les grandes métropoles européennes, Londres, Madrid, Milan, Bruxelles, sont traités les mêmes motocyclistes. La complexité de la tâche, l’impossibilité de récolter un matériau homogène impose de s’en tenir à quelques aperçus. Ainsi, comparer la façon dont, sur leur sites web, Paris, uniquement préoccupée de vélos, et pour laquelle les deux-roues motorisés ne sont rien d’autre que des genres d’automobiles, en tout aussi méprisable mais en bien plus dangereux, et Madrid ou Barcelone s’intéressent aux usagers de motocycles ne fait que souligner l’opposition entre deux conceptions diamétralement opposées, l’un qui voit dans les deux-roues motorisés une alternative positive à la voiture, en matière d’encombrement, d’occupation de l’espace ou de rejets de gaz à effet de serre, ce pourquoi il convient de la favoriser, l’autre qui préfère ignorer cette réalité et ne veut rien connaître d’autres deux-roues que du vélo, alors même que ceux-ci, à la différence des motocycles, sont bien incapables de remplacer les automobiles, ne serait-ce qu’à cause de la portée bien plus faible de leurs trajets. L’exception parisienne apparaît alors dans toute son ampleur : à Londres, Madrid, Bruxelles, nombre de voies de bus sont ouvertes aux deux-roues motorisés. Le développement des low emissions zones, ces centre-villes où la circulation des véhicules diesel émetteurs de particules fines est restreinte, voire prohibée, ne se fait nulle part en Europe au détriment des deux-roues motorisés, et pour des raisons des plus élémentaires. La France, et Paris, fait seule exception, puisque les ZAPA en projet prohiberont aussi les motocycles dès lors qu’ils seront âgés de plus de huit ans. Enfin, toutes les métropoles qui ont mis en place des péages urbains, Stockholm, Londres et, tout récemment, Milan, laissent systématiquement l’accès libre aux deux-roues motorisés : on ne prend aucun risque en postulant que, si une telle mesure était prise en France, et à Paris, il n’en irait pas de même.
On comprend alors ce que la politique française, et parisienne, a de strictement inégalitaire, puisqu’elle refuse aux motocyclistes français des droits très largement accordés ailleurs ; et cette inégalité trouve sa source dans son choix d’une politique inéquitable, qui distingue les usagers, et les citoyens, non pas en fonction de critères neutres, objectifs et mesurables, en l’espèce leur vulnérabilité, mais selon des critères moraux qui opposent des modes de déplacements qualifiés de doux et valorisés en fonction notamment de leur neutralité affirmée à l’égard de l’environnement – vélo et marche à pied – aux autres usages, dépréciés pour des raisons inverses. Et cette dévalorisation touche particulièrement les motocyclistes, eux qui pourtant sont à la fois physiquement vulnérables, et bien moins nocifs pour l’environnement que les automobiles, tout en transportant, en ville, une quantité à peu près équivalente d’individus. Ces avantages, on l’a vu, sont reconnus dans nombre de métropoles européennes, mais pas à Paris ; ici, la ligne politique fermement appliquée depuis 2001 consiste à réduire le trafic de tous les véhicules personnels à moteur thermique, quels qu’ils soient, et passe notamment par ce remodelage systématique évoqué plus haut, lequel diminue dans des proportions considérables l’espace que, malgré tout, on ne peut faire autrement que de concéder aux indésirables. Or, les conséquences de ces choix ne s’exercent pas à leur seul détriment.
Le 17 mai 2011 à Clichy la Garenne, un piéton a été tué par le conducteur d’un semi-remorque qui, venant du boulevard du Général Leclerc, rue à deux fois une voie très fréquentée par les habitants puisqu’elle constitue la seconde artère commerçante de la ville, tournait à droite vers l’avenue Victor Hugo. Chaque jour, au cœur de la ville, à ce carrefour aussi urbain que le croisement entre boulevard Haussmann et rue du Havre, qui dessert les grands magasins parisiens, défilent plusieurs centaines de semi-remorques. Côté nord en effet, le boulevard Leclerc mène au port de Gennevilliers, et à l’autoroute A15 ; côté ouest, l’avenue Victor Hugo prend fin porte de Clichy, à hauteur de périphérique. Les transporteurs qui on besoin de relier ces deux charnières d’ une importance nationale pour les échanges de marchandises n’ont d’autre choix que d’emprunter cet itinéraire, étroit, encombré, et purement urbain. Une analyse superficielle blâmerait ces aménageurs qui n’ont même pas eu la prévoyance d’établir entre ces deux points une liaison spécifique ; mais, bien sûr, il n’en est rien.
Celle-ci, en effet, dort dans les cartons depuis quarante ans sous l’appellation de boulevard urbain ; et ce projet n’a pour l’instant produit d’autre effet que de mettre de côté les terrains nécessaires, qui longtemps n’ont connu d’autres riverains qu’un dépôt pétrolier, une fourrière automobile et des terrains vagues, et de prévoir un point de raccordement sur le périphérique, entre les portes de Clichy et de Saint-Ouen. C’est en partie l’antagonisme entre les deux municipalités, la seconde risquant de récolter des nuisances pour l’heure uniquement supportées par la première, et en partie l’opposition du Conseil général, produit de stratégies clientélistes à l’intérieur du nid de vipères des Hauts de Seine, qui expliquent que cette indispensable liaison soit restée en projet. Mais, depuis peu, celui-ci réapparaît dans une version raccourcie, sous l’appellation de Boulevard urbain Clichy Saint-Ouen, alias BUCSO. Sa configuration, modernisée, adhère strictement aux canons du jour : au départ, ses 32 mètres de large acceptaient sans difficulté une deux fois deux voies, avec terre-plein central et bande d’arrêt d’urgence en prime ; cet espace, désormais, sera consacré aux autobus, aux vélos, et aux arbres, au seul profit desquels l’essentiel du terrain sera réservé, au détriment des automobiles. Les indésirables n’ont désormais plus droit qu’à 21,5 % de la largeur de la voie ; celle ci, en d’autres termes, est passée du statut d’artère de contournement à vocation régionale à celui de petite desserte locale. Sans nul doute, la construction du nouveau BUCSO coûtera aussi cher que le projet initial, mais elle ne résoudra aucun des problèmes pour lesquels le boulevard a été conçu à l’origine. Ce qui fait surgir d’autres questions, et notamment celle de la responsabilité.
La responsabilité pénale de la mort du piéton du boulevard Victor Hugo repose très probablement sur le conducteur du semi-remorque. Les élus, pourtant, et même si personne ne les poursuivra jamais, la partagent. Car on ne peut à la fois empêcher la construction d’une voie de contournement, puis changer totalement la destination originale de celle-ci, et refuser en même temps d’assumer les conséquences de ces décisions qui, en l’espèce, conduiront les semi-remorques au cœur de la ville, au milieu des piétons, une situation dont on ne peut ignorer qu’elle aura un jour des conséquences fatales. Le même raisonnement s’applique à ce remodelage des rues, qui vise moins à faciliter la circulation des cyclistes au détriment de celle des autres usagers vulnérables, qu’à contraindre, en multipliant les obstacles physiques à leur déplacement, les automobilistes à abandonner un moyen de transport dont, dans des aires urbaines aussi énormes que Paris, ils ne peuvent bien souvent se passer. Il s’agit, en somme, de produire une forme clandestine de péage urbain, tout en affirmant bien haut son intention de n’en rien faire. Il s’agit, aussi, d’ignorer la première conséquence de cette politique, ce basculement modal qui a vu l’essor des deux-roues motorisés, devenus envahisseurs à combattre dans les nouveaux plans de déplacement urbains et qu’il faut physiquement contenir, sans aucun souci pour leur sécurité.
Cette nouvelle manière de concevoir la voirie et son rôle revient à défaire le très long travail, décrit notamment par Jean Orselli, de construction, de classification, de sécurisation, d’entretien d’un réseau routier conçu par les ingénieurs des Ponts à l’intérieur d’un schéma national cohérent, avec comme objectif de permettre la circulation des véhicules dans des conditions optimales ou, en d’autres termes, de rendre au mieux les services pour lesquelles les routes ont depuis toujours été conçues. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater combien la recherche de l’intérêt général, le respect de l’égalité entre les citoyens étaient bien mieux défendus hier par des hauts fonctionnaires pesant fortement sur les choix politiques qu’ils ne le sont aujourd’hui par des élus censés représenter la population dans son ensemble mais qui, tranquillement, à petits coups d’investissements matériels et législatifs, organisent en toute conscience de cause une forme de discrimination entre les citoyens qui s’appuie sur, et se justifie par, la manière dont ceux-ci se déplacent. À ce titre, le BUCSO constitue une formidable métaphore. Le futur boulevard témoigne d’un état des lieux dans l’évolution de rapports de force qui, en trente ans, ont vu l’affaissement de la puissance des aménageurs, et du corps des Ponts, aménageurs dans les traces desquels de nouveaux venus, techniciens et idéologues du développement durable, viennent implanter leurs conceptions de ce que doit être une liaison routière de ce genre, en la vidant totalement de sa fonction d’origine. Mais il témoigne aussi de l’impasse dans laquelle s’engagent ces nouveaux concepteurs. Impasse financière, puisqu’automobilistes et utilisateurs de deux-roues motorisés, par leurs dépenses en véhicules et en carburant, et par les taxes qu’ils génèrent, financent un aménagement dont ils sont exclus au profit des cyclistes, passagers clandestins, et des usagers de transports en commun, lourdement subventionnés. Impasse économique, puisque, compte tenu de la longueur et de la singularité des trajets de chacun, il n’existe, pour ceux qui n’ont pas d’accès facile aux transports en commun, d’autre substitut à l’automobile que le deux-roues motorisé. Impasse politique enfin, puisque derrière la niaiserie du déplacement doux se profile une conception autoritaire de ce que doit être le citoyen d’aujourd’hui, enchaîné à son quartier, pratiquant le vélo à tout âge et dans toute condition physique comme une saine activité sportive, apportant sa contribution positive au bien-être collectif à travers sa participation à la vie locale, une conception, en somme, qui correspond idéalement aux propriétés des catégories intellectuelles moyennes et supérieures des centres-villes, et rejette toutes les autres.