Il serait très hypocrite de laisser quelque écrit que se soit en libre accès via Internet, et de s’étonner ensuite que les propos qu’il contient soient repris, diffusés, et parfois mal compris et déformés. Aussi, les quelques commentaires que les visiteurs ont laissé à propos de mon analyse du document de la Sécurité Routière relatif à l’accidentologie moto, ainsi que les propos que j’ai pu lire ici et là sur les forums, me conduisent à apporter quelques compléments. En me lançant dans ce travail qui devrait conduire à un master de sociologie, j’ai fort banalement commencé mon étude par la recherche de sources de documentation secondaires, de toute nature, relatives à la moto, et essayé avant tout de trouver les statistiques qui permettraient de répondre à cette question en principe simple : combien de motards aujourd’hui en France ?
En cours de route, grâce à Google, je suis donc tombé – je n’ai pas été le premier, un forum consacré à la Fazer en parle dès avril 2005 – sur cet assez stupéfiant document de l’ONISR, dont j’ai étudié trois points qui m’ont semblé particulièrement significatifs, et relatifs à mon propos qui concerne la moto d’un point de vue sociologique, mais ne s’intéresse pas particulièrement à l’accidentologie.

Comme tout le monde l’a compris, le chiffre essentiel est celui qui permet à l’ONISR d’estimer à 1 % la place de la moto dans le trafic global, chiffre qui est à son tour le produit de deux estimations : celle du parc de véhicules, et celle du kilométrage moyen, estimations dont au moins la première n’a aucune raison d’exister, puisqu’il suffirait de compter les cartes grises pour obtenir un dénombrement raisonnablement exact du parc de motos en circulation. Et le fait que l’Etat ne procède pas ainsi, alors que les motos, après les véhicules particuliers et les utilitaires, représentent la troisième catégorie de véhicules la plus nombreuse, est, nécessairement, extrêmement significatif : là, on pourrait oser le jeu de mots bourdieusien, et dire que ceux que l’Etat ne compte pas ne comptent pas. Naturellement, il m’est impossible de faire à sa place le travail de l’Etat : j’apporte quelques indices, quelques dénombrements rapidement faits à partir du site de Moto Station, lesquels, comme le précise Jean-Noel en commentaire, peuvent fort bien être biaisés, encore que l’on puisse en discuter, et qui sont de toute façon imprécis, en raison des intervalles de classes trop larges qu’utilise Moto Station, site qui n’a pas comme premier objectif de recueillir des chiffres de kilométrage précis. Mais cela n’a pas grande importance : ce qui compte, c’est que l’affirmation préremptoire selon laquelle les motards représentent 1 % du trafic total ne s’appuie sur aucune donnée fiable, que la marge d’erreur peut être énorme, et que toute réévaluation de ce chiffre diminue en proportion l’accidentatlité relative : si les motos forment en réalité 2 % du trafic, leur accidentalité est par définition deux fois inférieure à ce que l’Etat prétend qu’elle est.

Si, pour ce qui concerne le parc et le kilométrage, on reste dans le flou, il n’en est pas de même pour la mesure des vitesses, même si, découvrant tardivement la notice méthodologique qui leur est consacrée, l’essentiel de ma critique se trouve dans une note de bas de page : or, produites par une procédure d’échantillonage biaisée et une taille d’échantillon qui varie du trop faible au ridiculement minusucle, les données de l’ONISR relatives à la vitesses des motos sont en quelque sorte fausses au carré.

Enfin, le troisième élément de mon analyse est, lui, qualitatif, et porte sur l’étude d’un accident choisi par l’ONISR, au milieu de milliers d’autres, pour représenter une situation typique, celle du refus de priorité dont un motard est victime. Or, tout le travail d’analyse de l’Observatoire va conduire à inverser les responsabilités, excusant la faute de la conductrice qui s’est arrêtée au signal stop mais n’a pas vu le motard, gênée par une voiture mal stationnée, reportant la responsabilité sur le motard à cause d’une vitesse très supérieure à celle qui était autorisée. Cette attitude est politique en ce sens qu’elle marque, comme on dit chez nous, une rupture de la neutralité axiologique, ou, plus vulgairement, un parti-pris. On peut la comparer avec celle du gouvernement britannique, dans son étude In-depth study of motorcycle accidents, que l’on trouve par exemple en lien sur cette page. Là, on décrit en page 23 un accident mortel consécutif à une sortie de route en courbe. Le motard, accompagné d’un ami, pilotait une Kawasaki neuve, avec un permis obtenu onze jour plus tôt lors d’un stage intensif ; la courbe pouvait être négociée sans difficulté à la vitesse maximale autorisée, laquelle était respectée par le motard. On voit que les britanniques, eux, choisissent une situation où l’inexpérience seule, et l’insuffisance de la formation, expliquent l’accident ; on peut imaginer ce que l’ONISR aurait fait à la place.

D’une manière générale, j’incite les anglophones à se rendre sur le site du Ministère britannique des transports et, dans la masse de documents consacrés aux deux-roues, à lire celui qui présente sa politique en matière de moto, The government’s motorcycle strategy ; je cite l’introduction :
« Le gouvernement s’engage à apporter son soutien à l’utilisation du deux-roues motorisé qui représente une part importante de l’offre de transports, et à travailler avec les représentants des motards pour répondre aux besoins des motocyclistes. »
C’est signé David Jamieson, Secrétaire d’Etat aux transports du gouvernement de Tony Blair ; c’est la Grande-Bretagne, sur une autre planète.

Une précision technique pour finir : ce site fonctionne grâce à DotClear, la plate-forme de blogs développée par Olivier Meunier. Progressivement, avec la publication de nouveaux billets, mon analyse de la brochure de la Sécurit&eacute Routière sera déplacée vers le bas de la page d’accueil, puis cessera d’être visible sur celle-ci. Donc, si l’on désire faire un lien vers cet article, il faut prendre comme cible non pas la page d’accueil, index.php, mais le billet lui même : un clic sur son titre, et il s’ouvre dans sa propre fenêtre à son adresse, ce qui, de plus, permet de laisser un commentaire. Ici, il s’agit de
http://mastermoto.nuage-ocre.net/index.php?
2005/11/01/3-l-onisr-blanchisseur-de-statistiques
.
J’essayerai de faire plus court la prochaine fois.